Les délires d'Akakia

lundi, janvier 24, 2011

La vente d'Hydro AbitibiBowater, l’assaut final !...

(cliquer sur le texte pour le lire)
Hydro AbitibiBowater, le retour de la menace

Depuis quelques jours, on fait grandement état de la manoeuvre équivoque d'AbitibiBowater eu égard aux centrales hydro-électriques dont elle a la garde au Saguenay–Lac-Saint-Jean en vertu d'un bail d’utilisation sensé être donnant-donnant, c'est-à-dire prospérité pour le peuple et prospérité pour l'entreprise (voir à ce sujet les textes des journalistes Louis Tremblay et Bertrand Tremblay, publiés dans « Le Quotidien » des 21 et 24 janvier 2011).

La semaine dernière, ameutés par une « manoeuvre comptable inquiétante chez AbitibiBowater », les chefs syndicaux sonnaient le tocsin. Puis ce fut au tour du député fédéral Jean-Pierre Blackburn suivi derechef par la député et chef du PQ, Pauline Marois, à faire des entrechats devant les caméras du Saguenay.

Quand les chefs syndicaux crient « danger danger » et montrent les dents face à l'encontre de ce cadavre d'industrie qu'est devenue AbitibiBowater, je me dis qu'il n'est jamais trop tard pour comprendre et agir dans le bon sens ! Quand un député fédéral, qui n'est pas considéré comme le plus brave et le plus futé de nos députés à Ottawa (c'est le moins qu'on puisse dire !), ose enfin ouvrir la bouche pour qualifier la manoeuvre de la multinationale banqueroutière de... « décision pernicieuse » et qu'il somme le gouvernement provincial de mettre ses culottes, alors là je me dis que ce ministre ne fait pas semblant d’être brave pour rien et que des élections fédérales ne sont certainement pas loin dans l'ordre du jour de son parti. Et quand Pauline Marois, de passage à Saint-Ambroise , « prône la fermeté » envers la multinationale et qu’elle réclame des « bénéfices » pour la région productrice, je ne peux m'empêcher de penser qu'elle aurait dû le faire, la marquise, quand elle était la madame forte du parti au pouvoir au Parlement de Québec, à côté de Marc-André Bédard, Jacques Brassard et Lucien Bouchard, trois fils du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Plus facile à dire qu'à faire quand on fait des grimaces à Ottawa (qui n'est pas propriétaire des ressources naturelles des provinces) et qu'on siège à l'opposition comme aspirante au fauteuil de premier-ministre du Québec ! Car, s'il y avait un temps pour Madame Marois d'entreprendre la décentralisation des pouvoirs à Québec versus les régions, c'était bien lorsqu'elle y était en femme forte du Gouvernement et que rien ne lui était refusée...


La vente des derniers bijoux de famille et la fin de l'industrie papetière au Saguenay–Lac-Saint-Jean

Pour ceux (et celles, évidemment !) qui ont la mémoire courte, j'aimerais leur rappeler que ce n'est pas la première fois que la détentrice des droits hydroélectriques associés à la défunte Compagnie Price (mangée et digérée par l’actuelle AbitibiBowater), tente de vendre les derniers bijoux de famille (qui sont les centrales des rivières Chicoutimi, au Sable et Shipshaw) pour se laver, une fois pour toutes, de ses derniers devoirs envers le peuple du Saguenay–Lac-Saint-Jean qu'elle a déjà sucé jusqu'à la moelle. En effet, de 1985 à 1994, les régionaux doivent se rappeler qu’ils ont dû guerroyer sabre au clair pour la contraindre à renoncer à son projet de vendre un bien qui, en fait, ne lui appartient pas vraiment puisqu'il appartient à ce peuple en guenilles qui n'en finit plus de se faire dépouiller de ses droits, de ses biens et de ses haillons. Le 16 mars 1991, dans un éditorial publié dans « Le Quotidien », le journaliste Bertrand Tremblay, en mots très polis (trop polis à mon goût !), étalait le danger qui nous guettait alors au grand jour et appelait la région à « s'interroger sérieusement sur les conséquences de la perte éventuelle de l'avantage comparatif que représente le réseau hydroélectrique d'Abitibi-Price ».

Les affaires étant les affaires, deux ans plus tard, en 1993, la multinationale revenant à la charge, j'avais personnellement repris le flambeau pour mettre en garde la population du retour potentiel de la menace. Dans un texte très incisif publié dans la revue « L'Activité Économique » de janvier-frévrier 1994 (titré « La vente du réseau Hydro-Price serait un vol manifeste »), je concluais : « Parce que la rentabilité et la productivité des usines d'Alma et de Kénogami –donc les emplois qui y sont rattachés– sont indissociables des centrales hydro-électriques, la vente de l'un ou l'autre apparaît alors impensable. La suite est facilement prévisible !!! Hydro-Price vendue, la compagnie Abitibi-Price aurait les coudées franches pour abandonner par la suite l'exploitation de ses usines désuètes qui, redisons-le, ne sont plus rentables depuis la fin des années quatre-vingt. »

Encore une fois, l’histoire m'aura donné trop rapidement raison dans cette sordide affaire. Loin de s'être atténuée, la menace de la vente de ce réseau qui émeut bien du monde ces jours-ci au Saguenay–Lac-Saint-Jean, prépare la fermeture définitive des usines papetières d'Alma et de Kénogami, dernières composantes de ce qui était encore, voilà deux décennies à peine, le fleuron de l'industrie forestière du Québec voire du Canada si ce n’est de l'Amérique du Nord toute entière. Avouons que, pour un régionaliste de ma trempe qui, depuis un quart de siècle, voit mourir à petit feu son pays intime au profit d’une bande de boursificoteurs étrangers, qu’il y a de quoi s’inquiéter pour la suite du monde et des choses qui nous concernent en propre…

En bon entendeur, salut !

Akakia

samedi, janvier 15, 2011

Avec le décès de Marcel Trudel, c’est un peu l’esprit du XVIIIe siècle qui s’éteint…



« Ni cardinal, ni premier ministre », mais magnifiquement humain

Comme tout le monde au Québec, j’ai été profondément attristé d’apprendre le décès de l’historien Marcel Trudel, survenu le 11 janvier dernier. Né près de Trois-Rivières le 29 mai 1917, dans les jours chauds de la Grande Guerre, il était entré dans sa 93ième année. Le Québec perd une de ses plumes les plus riches, mais l’Histoire de notre portion d’humanité gagne une pensée qui ne saura mourir. Avec lui, c'est un peu l'esprit du XVIIIe qui s'éteint...

Monsieur Trudel était un ami. Je lui avais parlé justement au téléphone quelques jours avant Noël. Je le remerciais alors de m'avoir si gentiment fait parvenir sa dernière commission littéraire (« Mythes et réalités dans l'histoire du Québec», tome 5), fraîchement dédicacée de sa main tremblante, lui qui avait pratiquement perdu la vue. Ce petit bouquin sans artifices ni fioritures, est une tombée de rideau qui ne dépare en rien l’éloquence de l’œuvre de son auteur à qui le temps était compté. Comme chercheur d'histoire, écrivain et professeur, il aura été un modèle de ténacité, d’intelligence bien contenue et de gentillesse exquise. Dans nos échanges verbaux et épistoliers qui se sont étirés sur ce dernier quart de siècle, l’âme du professeur n’était jamais loin derrière celle de l’historien. Il était d’une disponibilité rare et d’une générosité princière. Il m'a fait le double honneur de préfacer mon « Saguenay des Fourrures » (en 1989), et d'écrire la dédicace qui ennoblit la couverture de mes « Fragments de mémoire » (2009).

« Je n'ai été ni cardinal, ni premier ministre, ni député, pas même échevin, écrit-il d'entrée de jeu dans ses fabuleux Mémoires ; j'ai passé ma carrière dans l'enseignement et la recherche, loin de la rue principale . C'est l'art de tout dire en une seule phrase, un angle mal connu de sa personnalité littéraire. Sa propre conception de l’histoire, ajoutée au défi d'excellence qu’il n’a eu de cesse de lancer à ses étudiants, le démarque également de ses pairs du Québec. Elle fait à elle seule l’éloge de la liberté de pensée qu’il a professée toute sa vie durant :

« Un historien doit étendre le plus possible le champ de sa culture. […] Pour l’histoire, tout est nourriture, y compris les œuvres de littérature et d’art, toutes nécessaires pour faire comprendre une époque. D’ailleurs une des qualités premières de l’historien est la sensibilité, sans laquelle on ne demeure qu’un manipulateur de statistiques et de graphiques. […] Et il faut savoir exprimer cette sensibilité par l’écriture, d’une façon vivante, en toute clarté. Je répétais à mes étudiants : lisez, lisez, et pas seulement de l’histoire, prenez Voltaire, Anatole France ou tout écrivain qui donne du diable à votre plume. » (Mémoires d’un autre siècle, 1987, p. 199)


Un précurseur de la Révolution tranquille au Québec

Cette pensée rejoignait la mienne qui clamait déjà que le bon maître d’école est d’abord celui qui apprend à son élève à se libérer de l’esprit du maître. C'est en lisant ses « Mémoires d'un autre siècle » que j'ai du reste décidé d'écrire mes « Mémoires d'un Tireur de Roches », une manière pour moi de prendre quelques photos de la société dans laquelle j’ai évolué. J'appréciais son élégance d'écriture et sa façon de raconter le passé derrière lequel il n’était jamais loin. Voltaire n'est arrivé dans ma vie que dans l'entrefaite. C'est du reste Marcel Trudel qui me l'a présenté sous un autre jour que celui révélé par Groulx et consorts. Sachant que j'aimais la liberté d’esprit de ce petit Diable maigrichon et appréciant ma combativité, Trudel m'avait offert les deux tomes de son écrit de jeunesse consacré à « L'influence de Voltaire au Canada ». Ce fut une découverte !

Rebelle à sa façon, il a publié ce travail en 1945, alors que le Québec s'écrasait encore sous les diktats politico-religieux de l’époque. L’affaire mérite d’être soulignée dans cet éloge. C’était trois ans avant la sortie du fameux « Manifeste du Refus global » qui est présenté aujourd’hui comme l’amorce de la Révolution tranquille au Québec. Quand on en a causé au téléphone, il s’était presque excusé d’y avoir été plutôt à pas feutrés, sans écorcher le haut clergé qui avait alors totale mainmise sur l’Université Laval, un haut clergé inquisiteur qui n’attendait de lui qu’un faux pas pour l’écraser.

Déjà à cette heure, Trudel était en avant de son temps ; à cet égard, il faut prendre le temps de rappeler que tous les livres de Voltaire, comme ceux des Encyclopédistes du reste, étaient encore confinés dans la section livresque dite de… « L’Enfer » qui étaient des tablettes placées sous scellées au sein des institutions d’enseignement. Tous les séminaires du Québec disposaient ainsi d’un « Enfer », un lieu formellement interdit, que ne se privait pas de fréquenter, évidemment pour si peu, l’élite cléricale !…


Une vision décapante de la Conquête anglaise

À son avis, la Conquête anglaise, bien que troublante et déplorable pour le peuple conquis, n’avait pas produit que des désagréments ; la décapitation de la bourgeoisie canadienne-française, écrivit-il, n’était pas due, comme il était enseigné, à l’arrivée des nouveaux maîtres mais bien à l’effondrement du commerce des fourrures. Plusieurs de ses pairs —identifiés aux prêtres de l'École de Montréal— n’ont évidemment pas aimé et leurs zélotes ont monté cette histoire en épingle bien que les faits lui donnaient cruellement raison.

On comprendra pourquoi Trudel —qu'on accusait bien à tort être le maître de l'École de Québec (sic)— n’était pas tout à fait à l’aise dans le corset idéologique des universités du Québec qui ont toujours eu tendance à soumettre les idées plutôt qu’à les libérer. Cette tendance corporatiste contre laquelle il a su se démarquer, caractérise l’ensemble de son œuvre. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le copieux texte qu'il a consacré aux... « avantages » de la Conquête de 1760 dans le premier tome des « Mythes et réalités de l'Histoire du Québec » (2001, pp. 209-234). Les esprits mièvres et confus s'abstenir !

Marcel Trudel était un libre penseur et, à ce titre, il nourrit aujourd’hui l’historiographie québécoise de l’originalité, de la force et de la sincérité de sa pensée. Depuis fort longtemps, il n'avait plus rien à prouver. Il s'amusait à écrire simplement sur ce qu'il avait durement appris et il a gratté du papier avec sa plume jusqu'à sa mort. Il s'est exprimé sur l'Histoire de la plus belle manière qui soit et avec le plus bel esprit du monde. Son oeuvre est impérissable. Il était unique et, à ce titre, il ne sera pas remplacé. Grâce à lui Champlain et la Nouvelle-France qui reste une œuvre inachevée, ont un mémorial pour l'éternité.

Akakia