Les délires d'Akakia

samedi, octobre 16, 2010

Dérive démocratique à Saguenay, à qui la faute ?


Les coups de chaleur du maire Tremblay

Le maire de Saguenay pète les plombs et rabroue un journaliste de Radio-Canada qui l’aurait bousculé un peu trop fort dans son bureau ! Motifs évoqués par le premier magistrat de la ville, le journaliste qui l’a rencontré à son bureau de la maison du peuple dans le cadre de l’émission d’intérêt public « La Facture », serait arrivé avec… « des questions très bien préparées pour faire mal paraître la ville ». À sa réaction très épidermique de remettre le porteur du micro à sa place, on voit bien que Monsieur le Maire n’a pas apprécié du tout que son interlocuteur soit revenu avec les dossiers entachés Loblaws, BTF et Bertrand Girard, trois cailloux coupants qu’il traîne avec beaucoup d’autres dans ses souliers vernis et dont la petite histoire saura bien lui rappeler ! Franchement ! Peut-on, dans une saine démocratie, là où l’intelligence et le bel esprit règnent, en vouloir à un journaliste de s’être… trop bien préparé pour faire son job ? La réponse coule de source…

Avis donc aux journalistes qui entendent rencontrer le maire de Saguenay prochainement pour lui demander des comptes sur sa manière d’administrer les affaires publiques. Si vous voulez sortir de son bureau sur vos deux jambes avec toute votre dignité et ne pas subir de poursuites en diffamations (car le maire a menacé de sévir par cet ultime canal contre les journalistes de R-C, ce qui contrevient à la loi sur l’information publique votée par l’assemblée nationale). Si vous voulez passer l’épreuve d’une entrevue en bon écolier docile, il vous faut plutôt évoquer le taux de taxation qui, à son avis se compare admirablement bien à celui des autres villes fusionnées du Québec ; il ne faut pas omettre de placer dans la liste de vos éloges le quai d’escale qui, il est vrai, remplit une partie du vide creusé par la disparition de la pulperie de Port-Alfred ; il vous faut encore soulever la pertinence de la rénovation des deux centrales de la rivière Chicoutimi qui va remporter des dividende$ appréciables à notre ville ; et, surtout, il importe ne pas oublier les cinq parkings qu’il a réquisitionnés pour « les citoyens d’abord » à côté de la porte d’entrée de notre hôtel de ville, là où le citoyen pénètre pour aller payer ses taxes et ses contraventions.

Qu’on apprécie ou pas le type de gestion du maire Tremblay qui, force nous est de reconnaître, a la mèche de plus en plus courte depuis son arrivée à l’hôtel de ville, en novembre 1997, il faut avouer que ces jours-ci notre premier magistrat n’a pas besoin d’un journaliste trop bien préparé (sic) pour faire mal paraître sa ville qu’il confond abusivement avec sa propre image. On a qu’à évoquer l’acharnement que le maire Tremblay a déployé pour exprimer sa foi catholique devant la Commission Bouchard-Taylor sans tenir compte du fait que tous les citoyens de Saguenay ne partagent pas nécessairement sa foi et que plus d’un ont été humiliés de se voir représenter ainsi. On a qu’à ressasser les cours d’histoire infantilisés qu’il nous a servis pendant des années à la télé communautaire. On a qu’à voir comment a été faussée et dénaturée la consultation-bidon concoctée par l’hôtel de ville sur la construction d’une salle de spectacle à Chicoutimi. Et on a qu’à se rappeler la déclaration complètement saugrenue que le maire Tremblay a faite l’année dernière, au Salon du Livre de Jonquière où il était conférencier invité, contre la pérennité du livre traditionnel alors que les éditeurs et les auteurs francophones en arrachent devant l’Internet et craignent l’arrivée du livre électronique.



Déficit démocratique et parlementeries municipales


En ce qui me concerne, les coups de chaleur du maire Tremblay et sa manière de réagir de façon très caractérielle à l’opposition qui tente de se manifester tant bien que mal par le biais de certains médias, ne me font pas l’ombre d’un pli sur la fesse gauche ! Si le maire Tremblay veut faire un fou de lui, tant pis pour lui, il aura mérité ce qui s’en vient inévitablement ! Mais que le maire Tremblay utilise le prétexte de l’image de la ville pour justifier ses comportements juvéniles à l’endroit de tout un chacun, cela me dérange au premier titre, car je suis de cette ville et je n’aime pas qu’on me prenne ainsi ni en otage ni pour un bouffon.

Ce qui me dérange, au premier chef dans cette chicane qui s’éternise fallacieusement et qui ne mène à rien de bon pour l’ensemble citoyen, c’est de voir la place ultime et sans partage que cet élu tient aujourd’hui sur l’échiquier politique municipal. C’est de comprendre que s’il tient toute cette place c’est d’abord et avant tout parce que les rouages politiques prévus pour empêcher cette sorte d’excès ne fonctionnent pas… où plutôt ne fonctionnent plus ! Et ce qui m’intéresse à cet égard, c’est de comprendre les pourquoi de cette défaillance démocratique qui n’a de cesse de s’envenimer et de se débiliter ???

Mais où sont donc passés les citoyens ?

Comment se fait-il que les échevins, pourtant élus dans la perspective d’équilibrer les forces démocratiques en présence et selon un code de lois bien précis qui repose sur les quelque 175 ans d’histoire de notre régime municipal, soient devenus aussi inefficaces aujourd’hui, aussi absents du débat d’intérêt public, aussi inutiles quand vient le temps de s’opposer au diktat d’un seul qui se pavane, scapulaire au cou et crucifix en main, en porte-étendard de la démocratique municipale qu’il maîtrise comme un petit roi de pacotille ? Comment avons-nous pu en arriver là ? À qui la faute d’une telle dérive ? Si le problème est là, bien réel, et qu’il est facile de mettre le doigt sur le fauteur de troubles qui n’en manque pas une pour s’illustrer à sa manière, la réponse est moins évidente. Elle nous ramène à des considérants qui placent le citoyen, individuel comme corporatif, et les institutions démocratiques dont nous nous sommes dotés, au cœur de la question.

Se pourrait-il que le fait d’avoir créé une classe d’échevins professionnels (sic) qui s’accrochent comme des sangsues à leur poste pendant cinq, six voire sept mandats, y soit pour quelque chose ? Ce problème, ne pourrions-nous pas le régler dès la prochaine élection ? Comment se fait-il que certains médias, que je ne nommerai pas, ont une oreille si attentive auprès du maire alors que d’autres ont maille à partir avec lui ? Se pourrait-il que des médias, plus complaisants et plus malléables, prospèrent avec les deniers de la ville en récompense, alors que d’autres, moins complaisants et moins malléables, n’en reçoivent que les miettes en punition ? Se pourraient-ils que la presse, parlée ou écrite, ne soit pas totalement pure à cet égard ? Comment se fait-il que les citoyens ne réagissent pas plus efficacement dans le débat public ? Faut-il blâmer, à cet égard, la pauvreté des propos que tiennent certains habitués de la période des questions du lundi à l’hôtel de ville ?

Dans l’état actuel des choses, puisque les grincements de dents n’ont plus aucune incidence sur la suite des événements, pourquoi pas en rire pendant qu’on le peut encore ? Pourquoi pas une « parlementerie » municipale qui nous permettrait d’illustrer les rôles joués par chacun des acteurs et de faire prendre conscience aux citoyens que, dans une démocratie, chacun à un rôle à jouer et que c’est par l’engagement et l’effort de tous qu’on peut provoquer les changements souhaités.

Akakia

jeudi, octobre 07, 2010

Ni Indienne ni Canadienne française, mais Métisse et solidaire

Image : « À la poursuite de l'orignal », de Cornelius Krieghoff, Brooklin Museum

Ni Indienne ni Canadienne française, mais Métisse et solidaire ! Cette rencontre des peuples et des esprits sur laquelle s'asseoient les fondements de la nation québécoise d'aujourd'hui, même Groulx, qui n'entendait pas à rire avec le métissage, l'a vue et a su prendre le temps d'en dessiner, à sa manière, les pourtours de son âme. À juste titre, l'auteur de « Notre maître le Passé » ne s'est jamais privé de clamer haut et fort qu' « on ne peut être que l'historien de sa génération », que chaque génération doit refaire son histoire et que chaque génération fait inévitablement figure de réactionnaire aux yeux de celle qui la suit. Que les historiens de ma génération qui se sont confortablement assoupis dans la facilité du consensus historiographique, en prennent note pour assurer la suite...

Pour les maîtres du Canada, qui se sont succédés au fil des avanies de l’histoire, c’est toujours le dernier arrivant qui reçoit les honneurs de l’occupant et qui se mérite l’ultime privilège de ne pas être nié en tant que membre d’une communauté ethno-culturelle quelconque. Si l’histoire, qui est une gueuse qui se vend toujours au plus offrant, n’en manque jamais une pour porter bien haut l’étendard de la justice et de la liberté. Si le politique et le juridique, qui la façonnent à leur discrétion, reconnaissent aujourd’hui que les Indiens sont le fruit de la rencontre des continents et du métissage, qu’ils sont un peuple sui generis et qu’ils méritent d’être protégés de l’assimilation. Il faut qu’ils acceptent aussi la contrepartie qui, consciente et fière de sa différence au sein de l’autochtonie, se dit plutôt Métisse, et qu’ils lui accordent les mêmes droits, le même respect et la même reconnaissance dans le sein de l’État.

Quand le glas sonne la fin de la colonisation française dans le nord de l’Amérique septentrionale, l’autochtonie qui l’a si favorablement accueillie s’est transformée au point d’en être méconnaissable. Certes, l’indianité a survécu de peine et de misère à cet inéluctable choc des continents, mais, force nous est de reconnaître, elle n’est plus seule à pouvoir prétendre aux avantages de la « sauvagerie » qu’elle partage désormais avec les enfants nés de cette rencontre. De passage à Québec au début du mois d’août 1749, le naturaliste suédois Pehr Kalm (1716 † 1779) note, à cet égard, que « les Sauvages du Canada ont maintenant leur sang profondément mélangé à celui des Européens et qu’une grande partie des Sauvages actuellement vivants tirent leur origine première d’Europe. » Et il n’y a pas de contrepartie du côté des colonisateurs : « On connaît également plusieurs exemples de Français qui ont volontairement épousé des femmes indigènes et ont adopté leur mode de vie –poursuit-il, mais– on n’a pas d’exemple qu’un Sauvage se soit uni à une Européenne et ait pris sa façon de vivre… »*

La suite lui donnera pleinement raison…

Bien que cette observation ponctuelle s’adresse plus particulièrement aux « Sauvages » établis dans la région de Québec sous le Régime français et qu’elle décrit la réalité ethno-culturelle de la communauté huronne de Lorette, l’image qui s’en dégage rend grâce à la distance parcourue en un siècle et demi dans les régions excentriques. Cependant, si la colonie de peuplement laurentienne tire nettement profit de cette fusion des races. Si elle prend régulièrement note de l’importance de ce trait caractère qui participe à l’ensemble de la société québécoise dont l’une et l’autre se réclament, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est prête à abdiquer sa culture euro-canadienne au profit de la culture canado-amérindienne, et à admettre que de cette formidable rencontre de civilisations a également été à l’origine de cette humanité nouvelle qui ne se sent et ne se dit ni totalement indienne ni totalement canadienne, mais simplement nouvelle et différente puisque c’est là l’inévitable résultat.

L’historien Groulx, tout entier qu’il soit dans sa démarche ethnocentriste, et malgré tout l’effort qu’il a mis dans sa rhétorique pour gommer le fait Métis qu’il noie dans sa « race » canadienne-française, trouve pourtant, lui aussi, une grande fierté d’admettre l’existence de deux courants culturels au sein de cette même « race » qui a survécu au drame de la Conquête et qui n’a de cesse de se recomposer en tirant profit de nouveaux apports ethniques venus d’Écosse, d’Allemagne et des Pays-Bas. Quand on sait toute la rage qu’il a déployée pour fustiger ceux qui ont osé évoquer l’ampleur du métissage canado-amérindien au Canada lorsque les Français en étaient les maîtres, on ne peut que s’étonner du fait qu’il ait pris également le temps de vanter la riche nature des ancêtres et de porter aux nues « le rare dédoublement de leurs aptitudes ».

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« On dirait presque deux races, deux peuples. Chez l’un, l’amour du sol jusqu’au cramponnement opiniâtre, passionné ; l’acharnement à remuer la terre, à façonner un pays ; la croyance qu’on peut faire grand sur un petit carré de quelques arpents, que la terre commune, que la patrie naît ainsi, par l’humble labeur de chacun, à sculpter son coin comme un joyau ; au besoin, la mort héroïque, au poste, face au barbare, comme une sentinelle, un soldat d’avant-garde En somme, un travail héroïque, mais dans le tassement social, en des horizons définis ; le goût de conquérir, mais pas à pas, solidement, par l’avance des moissons et des clochers.

Et l’autre type humain, celui-ci impuissant à demeurer en place, tout en projections morales. Non plus le goût de l’héroïsme collectif, du travail en équipe, discipliné, mais de l’aventure isolée, du risque personnel ; une poussée irrésistible à foncer dans l’inconnue, à faire sauter, d’étape en étape, le masque de la vieille Amérique ; à chaque nouvelle articulation géographique, prendre un élan plus impétueux ; aller, tant qu’il y a de l’eau qui porte, tant qu’il y a de la terre qui se dérobe, pour se tailler une aire continentale, s’esbroufer à son aise. Et cependant rattacher cette œuvre à l’autre, l’accomplir avec le même souci d’humanité ; s’avancer avec une passion de rival, pour contenir, vaincre une concurrence commerciale, mais aussi offrir une main fraternelle à l’homme que l’on découvre ; et, chacune de ses avances, les marquer de comptoirs et de forts militaires, mais aussi de croix et de chapelles. En un mot, à côté de ceux qui bâtissent solide, bâtir grand, comme se doivent de bâtir, en ce dix-septième siècle, les fils de la première nation du monde ; au delà de l’humble et paisible tableau de la vallée laurentienne, brosser une immense fresque historique ; donner au pays pastoral, à la terre de la vie calme, un prolongement de rêve, une permanente invite à l’audace. »
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Akakia

Notes :
* Jacques Rousseau et Guy Béthune, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, Pierre Tisseyre, 1977, pp. 250-251.

** Lionel Groulx, « La race canadienne-française », in Séraphin Marion et Watson Kirkconnell, The Quebec Tradition / Tradition du Québec, Les Éditions Lumen, Collection Humanitas, Montréal, 1946, pp. 162-166.