vendredi, mars 30, 2007

« On n'engraisse pas les cochons à l'eau claire » – Preuve qu'en histoire on peut tout dire !

René Boulanger, « La bataille de la mémoire / Essai sur l'invasion de la Nouvelle-France en 1759 », publié aux Éditions du Québécois, Montréal, 2007.

Voilà un livre destiné à plaire à tous ceux qui aiment les psychodrames parfumés au jus de mocassins usés jusqu'à la corne des pieds.

J'ai lu ce livre. Un pamphlet politique, sans envergure, sans aucune référence, qui n'utilise que les faits utiles à la promotion du nationalisme québécois à saveur de gomme d'épinettes. Ici, les raccourcis pavent la voie à la facilité et permettent à l'auteur de présenter les milices canadiennes comme des purs héros qui auraient pu, à eux seuls, gagner la guerre si seulement Montcalm avait accepté de faire une guerre à la mode du pays. De toute beauté !

Sous la plume de Boulanger, Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla, devient un... « Français-canadien » (sic) ; ce qui n'est qu'à moitié vrai puisqu'il est né en France (à Montauban, en 1721), qu'il a passé dix ans en Canada (de 1750 à 1760), et qu'il est mort chez lui, toujours en France (à Albias, en 1794), de sa plus belle mort. Sans doute n'aurait-il été que Français de France s'il n'avait pas mis en déroute les troupes anglo-américaines, le 9 juillet 1755 !!! C'est ce que l'on appelle, dans le langage du roman historique, une uchronie qui est une reconstruction historique d'événements fictifs, à partir d'un point de départ historique. Ce qu'aurait dû préciser l'auteur en avant-propos.

Faut lire la préface de Pierre Falardeau, pour en apprécier toute... la subtilité ! C'est le genre de publication qui rabaisse l'art et la démarche historiques à leur plus simple expression. « On n'engraisse pas les cochons à l'eau claire - Proverbe québécois », c'est ainsi que l'ami Pierre débute son apologie sur la nation historique. L'épithète en guise de style, le patriote cinéaste a vraiment la manière pour mettre les choses en perspective : « Mon ami boulanger est mal parti ! Pas assez têteux. Le système néocolonial canadien préfère les rampants, les arrivistes, les yesmen, les rois-nègres avides d'applaudissements et de petits-fours. Le système préfère encourager les bonententistes, les postmodernistes, les biculturalistes, les loyalistes, les unionistes et autres ex-trans-pré-ou-post nationalistes à la Jocelyn Létourneau. [...] Dans un petit livre assez minable, Marcel Trudel, survivant sénile de l'École de Québec, est venu nous vanter les bienfaits de la conquête anglaise... »

Vous voyez le genre ! Faut-il en dire plus pour vanter les mérites du bouquin ?!

Comme on doit s'y attendre, l'auteur de cet essai ne trahit en rien l'éloge que lui fait d'ailleurs son préfacier. Qui, mieux que Vaudreuil, le dernier gouverneur de la Nouvelle-France qui plus est le signataire de la Capitulation de Montréal, pour donner le ton du livre. Lisons plutôt : « La mort protège Montcalm, tout en accablant Vaudreuil, qui ne peut plus se défendre en accusant son rival. L'histoire retiendra son silence. Le dernier homme à avoir gouverné la Nouvelle-France dans la perspective d'une stratégie d'État, représente à la fois toute la constellation des possibles que l'histoire réservait à ce peuple français d'Amérique et signifie également l'entière décapitation. Le Canada français devenu Province of Quebec n'a pas connu de pensée souveraine ni de doctrine d'État depuis le départ du marquis de Vaudreuil... » (p. 139).

Ici, cela devra sans doute suffire à rassurer les historiens nationalistes qui perçoivent le personnage avec beaucoup d'empathie ; ici, Vaudreuil est un héros qui doit à Montcalm et à Lévis toutes ses déveines. Un peu plus, et toutes les pierres de l'île de Montréal vont se mettre à suinter du sang de patriotes pour permettre à Falardeau de badigeonner son prochain film. Vaudreuil, ce Canadien de la haute, est d'autant plus le héros de cette belle histoire, que l'auteur ne dit pas un « traître mot » de tous ces autres héros, Ramezay en tête,  qui ont signé la capitulation de Québec... sans avoir tiré un « traître » coup de canon pour défendre la ville. Silence total, également, et on comprendra pourquoi, sur la signature de la capitulation de Montréal par Vaudreuil qui, non seulement n'a toujours pas osé tirer un seul coup de canon pour sauver l'honneur des Canadiens, mais qui a accepté de signer une reddition sans condition malgré les ordres formels du roi de ne jamais couvrir la France d'une telle honte. Cela étant, on ne s'étonnera pas plus de ne pas se faire dire que Vaudreuil, le père aimant de ce pauvre peuple de vaincus, ne soit pas resté ici pour partager leur triste sort et qu'il ait préféré vivre de ses copieuses rentes dans son château parisien.

Dommage, triplement dommage devrais-je dire, que ce soit ce genre d'écrits, passés comme sérieux et sans objections, qui réussit à s'imposer dans l'historiographie québécoise pour récupérer tout le vide laissé sur cette affaire de Conquête depuis Frégault.

Russel Bouchard

1 Comments:

Anonymous Anonyme
dit :

Le critique Christophe Horguelin
ne semble pas avoir digéré la cochonnerie non plus:
http://www.vigile.net/spip/article5738.html

10:52 a.m.  

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