dimanche, novembre 26, 2006

Saguenay - Quand la mémoire d'une région s'éteint...

Quand la mémoire d'une région s'éteint, c'est comme une espèce vivante qui s'éteint. C'est toute l'oeuvre de la Création qui en paie le prix. Et cela m'attriste ! Retour à mon commentaire sur la tourte d'Amérique...

Voilà deux semaines à peine, Lise Bissonnette, la présidente-directrice de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec, devant la toute grande presse saguenéenne, rappelait l'importance de conserver les archives du milieu des affaires et de l'industrie pour préserver la mémoire du peuple québécois. À juste titre, l'ancienne directrice du journal Le Devoir, déplorait la dilapidation de pans entiers d'un fabuleux patrimoine documentaire, notamment celui de l'industrie, la grande autant que la petite. Madame pressait le pas pour qu'on s'y intéresse comme il est d'usage dans toute société en marche. Avec célérité, la marraine de la Bibliothèque nationale —qui nous a déjà coûté un bras et qui a eu la bonté de nous laisser le second, mais pas pour longtemps à ce que l'on peut voir avec ce qui suit !— pointait d'un doigt accusateur nos décideurs publics, nos affairistes et nos industriels pour qu'ils prennent enfin conscience de ce coulage honteux aux conséquences inimaginables pour notre devenir le plus prochain.

Nul n'est sans savoir que la conscience sans connaissance du passé n'est qu'un jour sans lendemains. Elle est comme un navire sans gouvernail ni capitaine. Ceux qui y prennent place naviguent sur un vaisseau fantôme démâté qui a cassé son gouvernail. Il ne sait plus son port d'attache. Il a perdu l'idée de son voyage. Il n'a plus pour maître que les éléments. Sa fin est écrite, mais il n'y aura, hélas ! personne pour graver son épitaphe ! Malheur à cet équipage !

En effet ! Le problème qui percute déjà les Saguenéens ne date pas d'aujourd'hui. Voilà quelques années, en 1984 pour être plus précis ; lorsque j'ai entrepris d'écrire l'histoire de ma municipalité, Sainte-Anne de Chicoutimi-Nord, qui est une des plus vieilles localités du Saguenay (fondée en 1843), j'ai eu l'opportunité de consulter les copieux fonds d'archives de la Compagnie Price. Un incontournable par où passe l'histoire de notre bon peuple et de notre pays, l'imaginaire et le souhaité autant que le réel. Dix ans plus tard, lorsque la Compagnie passa l'arme à gauche pour se fusionner dans la Compagnie Abitibi pour former l'Abitibi-Price, j'ai dû retourner dans le fonds —maintenant microfilmé— des archives de feue la Price Brothers & Co. pour compléter certains dossiers et pour découvrir, Ô horreur ! que la plupart des belles pièces n'y étaient pas et qu'elles avaient été détruites (sans doute parce que trop compromettantes). C'est là que j'ai senti toute l'importance de sauver les pièces qui me passaient par les mains, de sauver l'idée même du vrai pays.

Cela dit, la semaine dernière, par la plume de son journaliste Denis Villeneuve, l'hebdomadaire saguenéen Progrès-Dimanche faisait état des problèmes sans noms que traverse ces jours-ci la Société historique du Saguenay, soit dit en passant la plus importante du genre au Canada. Fondée en 1934 par Mg Victor Tremblay et un groupe de bénévoles, cette institution de grand renom qui a eu son heure de gloire et qui vit sur du temps emprunté, est entrée dans sa phase terminale. Ses locaux, qui occupaient jadis une partie du deuxième étage du Pavillon Sagamie, se sont rétrécis comme une peau de chagrin : les ordinateurs sont empilés les uns sur les autres, la riche bibliothèque, l'orgueil de notre région, a été enfouie dans des boîtes où la moisissure et l'infection sévissent, et les archives se promènent d'un local à l'autre sans ménagement, selon les besoins des propriétaires du Pavillon Sagamie, pourtant les fondateurs de l'Université du Québec à Chicoutimi !

Bref, si aucune mesure énergique n'est prise d'ici peu, il faut dès lors imaginer qu'une perte irréparable de notre patrimoine archivistique, culturel et historique est en train de se fabriquer sous nos yeux. Ce triste constat établi, il nous reste à voir si nous avons décidé de vivre malgré tous les malheurs qui nous affligent, en tant que région abusivement dite de « ressources », ou si nous acceptons de finir comme la tourte d'Amérique.

Dans ces circonstances où le temps nous est compté, je ne peux m'empêcher de demander, à ceux qui ont déchiré leurs chemises sur la place publique dans leur médiatique contestation du déménagement du monument Price, à Chicoutimi, pourquoi ils ont déserté leurs tribunes et pourquoi ils n'en mettent pas tant pour sauver un monument qui porte en lui la trace de leur propre peuple ? Mais où ils sont ces criards et ces universitaires, alors que l'histoire et la mémoire, qu'ils ont si bruyamment évoquées pour un monceau de pierres égrémies, ont besoin de leur charisme ? Le temps n'est-il pas plus à-propos aujourd'hui de se vouer à la défense du bien public, bien que l'actuel dossier de la SHS soit moins glorieux et moins utile à mousser leur propre mémoire ?...

Russel Bouchard


Lettre adressée au journaliste Denis Villeneuve
et publiée dans Le Progrès-Dimanche de ce 26 novembre 2006, sous le titre : « La SHS, ce grand malade qui s'ignore... Quel désastre ! »

Chicoutimi, le 19 novembre 2009
Bonjour Denis,
Je suis heureux de voir que tu étais sur la touche à propos de la douloureuse agonie de la Société historique du Saguenay. S'il y en a qui ont peur de réagir, moi pas ! Cette situation est d'une tristesse telle qu'on en est rendu à se demander si on ne devrait pas partir à notre tour de ce mouroir qu'est devenu le Saguenay. La Mémoire, c'est le dernier fil, l'ultime lien qui accroche une société, quelle qu'elle soit, à la vie. Passé ce seuil, c'est la mort cérébrale qui annonce la mort clinique.

Ce que dit ce matin le président de la SHS dans la foulée de ton papier, m'apparaît des plus inquiétants et se révèle très loin de la réalité. Comment trouver le juste remède à une malade en phase terminale qui dit ne pas être malade ? Dans le contexte actuel, je ne vois pas cette lueur d'amélioration que dit voir M. Beaulieu. N'eut été des bénévoles et de la directrice (Louise Bouchard) qui tiennent à bout de bras la revue Saguenayensia, la Société historique serait morte à l'heure qu'il est. Ces derniers ont toute ma sympathie et ma reconnaissance. Ils font tenir un radeau à la dérive avec de la broche à foin et des bouts de ficelle usée. Si le CA de la SHS a une carte cachée comme le laisse présager l'entrevue que tu as donnée à son président, qu'il l'expose publiquement pour qu'on en juge, et on verra bien ! Dans le contexte où je suis quotidiennement confronté à la décrépitude endémique et récurrente de la SHS, ce n'est pas la lecture que j'en fais. Mais alors là pas du tout ! C'est même tout le contraire ! C'est la descente vers l'abîme...

Pour t'illustrer le problème, je ne te parlerai pas du cas de la direction, puisqu'elle n'est que partiellement responsable de cet état lamentable de l'institution placée sous sa gouverne (mais responsable tout de même puisque c'est elle qui prend les ultimes décisions et qu'il y a eu, l'an dernier, une série de démissions inexpliquées) et que je ne suis pas informé de ses décisions ! Je te parlerai simplement de moi, l'historien et chercheur qui détient sans aucun doute l'un des fonds d'histoire privés les plus importants du Québec. En tout, 135 caisses de dossiers d'archives et d'histoire facilement consultables et rangés avec un soin méticuleux. À cela, il faut ajouter toute ma correspondance des 35 dernières années (des milliers de lettres) ; mon journal intime qui compte tout près de... cent volumes de 96 pages l'unité (la mémoire d'un pays à lui seul) ; des milliers de photographies, uniques ; et une bibliothèque passablement complète, dont le livre le plus ancien remonte à 1689.

Il y a quelques années (début 1990), quand cette jeune équipe de bénévoles a pris la relève, encouragé que j'étais par ce vent de renouveau qui soufflait, j'ai décidé de coucher la SHS sur mon testament, moyennant quelques conditions très élémentaires et qui se résument à peu-près à ceci : 1- que la SHS soit en mesure de conserver adéquatement ce patrimoine ; 2- qu'elle soit en mesure d'en dresser un inventaire soigné ; 3- et qu'elle puisse les mettre à la disposition des chercheurs dans un délai raisonnable. Il y a quelques jours, après avoir vu l'ampleur de cette déchéance, j'ai décidé de revoir mon notaire pour changer mon testament. Dans les circonstances, j'envisage maintenant de confier mon fonds et mes collections soit à la Grande Bibliothèque Nationale à Montréal, soit à Ottawa. Aussi bien dire à des pays étrangers. C'est dire tout mon désarroi !

Si cette lettre peut aider à corriger positivement la situation, je t'autorise à publier la présente, en partie ou en totalité. Mon souci n'est que d'aider. Merci d'avoir pris le temps de me lire.

Russel Bouchard
Historien

5 Comments:

Anonymous Anonyme
dit :

Cher M. Bouchard,

Vous aurez beau vous plaindre à qui vous voudrez, la Mémoire d'avant 1960 n'est plus à la mode, ne fait plus partie du projet québécois et ce, depuis l'avènement de la «nation civique».

Il faut tout faire disparaître, y compris et surtout la nation fondatrice de ce pays.

À qui profite le crime? Aux seuls fédéraux ou aussi aux néonationalistes québécois?

Marie Mance Vallée

11:33 a.m.  
Anonymous Anonyme
dit :

Ces universitaires que vous dénoncez cher Russel ne lèveront pas le petit doigt puisqu'ils sont les plus ardents promoteurs de la déconstruction de la mémoire des canadiens français et des Saguenéens. Ils vont continuer de se camoufler dans leurs petits bureaux bien douillets de l'UQAC et d'ailleurs, et de marché à l'ombre... S'il n'en parle pas c'est que ça n'existe pas.

D'autre part, mis à part ce journaliste qui a le mérite d'être attentif, ça n'a pas fait l'objet de dossier de la part de la presse radiophonique (CBJ entre autres). J'imagine que les recherchistes sont en couverture de l'arrivée du Père Noël!

2:16 p.m.  
Anonymous Anonyme
dit :

C'est triste, mais vous avez tous les deux, hélas raison ! Que puis-je faire de plus sinon que de refuser d'y souscrire par mon propre abandon ?

Je continue malgré tout. Quand bien même serai-je devenu le seul...

Russel Bouchard

3:56 p.m.  
Anonymous Anonyme
dit :

Vous n'êtes pas seul mon cher ami...pas seul. Regardez, écoutez!

9:30 p.m.  
Anonymous Anonyme
dit :

Je suis d'avis qu'il faudrait forcer les tenants de la nation civique à se «commettre officiellement». À enlever leurs masques. Ainsi le Québécois moyen y verrait-il plus clair?

Toute la pseudo élite québécoise, et particulièrement la souverainiste, doit être interpellée vigoureusement , sinon ce débat sur la «nation» retournera aux oubliettes. Le fédéral se sera donné bonne conscience et l'élite québécoise se sera tue sur une définition sérieuse de la «nation». Ils continueront à berner la population.

Il y a Pierre Paquette du BQ, un ancien syndicaliste, qui s'est prononcé à la radio de la SRC samedi dernier. Il a dit «qu'il s'agissait de la nation civique et non de la nation ethnique». Que voulait-il dire? Venait-il de donner le signal d'un début de définition? La nation québécoise sera-t-elle définie par «la seule gauche québécoise»? Selon toute apparence, il semble bien que ce soit le cas.

Toute la question de la Mémoire est reliée à la nation qu'ils veulent civique. Pour eux il n'y a plus de Québécois de souche et encore moins de Métis. Ne nous surprenons plus maintenant du silence de l'élite souverainiste dans les affaires Parizeau et Michaud. Ils n'ont pas levé le petit doigt pour les défendre. Cela est très significatif.

Marie Mance Vallée

8:59 a.m.  

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