mercredi, octobre 11, 2006

L'effondrement de l'industrie forestière au Québec, le résultat de 30 ans de laxisme étatique et d'incompétence gouvernementale

Voici la quatrième partie (de cinq) de la conférence présentée vendredi 6 octobre, devant les membres de l'Ordre des Évaluateurs Agréés du Québec. Pour une présentation plus détaillée, voir l'avant-propos de la chronique du 7 septembre. R.B


Demain, « La Conclusion ».


4- Le cas de l'effondrement de l'industrie forestière.

On a pillé, comme toujours, sans se soucier de ceux qu'on pille. Et le résultat ne peut être autrement que ce que l'on voit actuellement, que ce que dénonce ces jours-ci, bien timidement et bien tardivement, M. Généreux, devant une ministre (Mme Normandeau) qui se dit ne pas être en mode « confrontation » !

« C'est tout à fait légitime de critiquer les actions du gouvernement. Cependant, nous, nous sommes en mode action. Nous pouvons faire des bilans sombres, pessimistes, et alarmistes ou travailler ensemble, comme nous l'avons fait avec notre pacte fiscal. Cher Bernard, jamais tu ne trouveras en moi une personne de confrontation »(1)

Ridicule !!! Compte tenu de la précarité du moment et de l'imminence du point d'impact de la catastrophe, on pourrait parler d'une naïveté angélique de la part de la ministre des Affaires municipales du Québec...

Et le gouvernement Charest n'est pas le seul à devoir porter le blâme de la désintégration des régions du Québec. On se rappellera qu'en janvier 2001, le « lucide » Lucien Bouchard (2), pourtant un Saguenéen d'origine, a été le maître d'oeuvre dans le programme d'aide financière de 38 M$ au Jardin Zoologique de Québec, pour qu'il puisse se refaire une jeunesse sur le dos du jardin zoologique de Saint-Félicien (3). On se rappellera également que c'est encore lui, aidé de son successeur, M. Bernard Landry et le fonds de la SGF Minéral, qui, toujours en janvier 2001, ont volé au Saguenay, pour en faire profiter Montréal, l'usine norvégienne de pièces automobiles en aluminium Raufoss (60 emplois hautement qualifiés) (4). Ce qui n'a pas empêché M. Landry de déclarer en entrevue cette semaine, comme si de rien n'était, comme s'il était tout à fait étranger à notre effondrement, qu'il faut « être favorable au développement des régions plutôt qu'à l'exportation d'énergie », et qu'un projet d'aluminerie, « doit impérativement avoir des répercussions positives sur la deuxième et la troisième transformation » (5).

« Un projet appuyé par l'État ne doit pas être exclusivement dédié à la production de lingots. Un calcul doit être effectué, soit quelle est la fonction de la quantité d'énergie par rapport à ce que ça va donner en création de richesses, et donc d'emplois et de valeur ajoutée. Le procès des lingots est terminé.— Il faut qu'on impose des conditions de création d'emplois ».(6)

« Créer de la richesse » est une chose ; développer une toute autre ! Quelqu'un aurait dû répliquer à M. Landry —un économiste qui doit pourtant en savoir un peu sur cette sorte de subtilité— qu'il y a toute une différence entre « croissance » et « développement ». La croissance concerne le milieu des affaires d'abord ; c'est une augmentation absolue et relative, sans égard à toute préoccupation de développement. Alors que le développement concerne la fraternité et la justice sociale ; c'est une croissance répartie sur l'ensemble du corps social, sans génération d'inégalités entre les régions constitutives de l'ensemble. Du « développement », c'est ce qu'ont justement évité de faire les gouvernements successifs depuis 1970, c'est ce qui n'a pas eu lieu au Saguenay–Lac-Saint-Jean sous Parizeau, Bouchard, Landry et Charest, et c'est ce que M. Landry n'a pas fait quand il a été en mesure de changer les choses !

Au niveau de l'effondrement de l'industrie forestière qui marque la misère des régions ressources au cours de ces dernières années, encore là tout était prévisible ! L'État et les forestière n'ont rien fait pour éviter le pire. Sous l'oeil complice d'un État servile qui n'est qu'un gérant de service pour elles, les forestières sont passées au plus facile : elles ont entrepris, à partir de 1970, de fusionner pour absorber la concurrence : (1974, fusion Abitibi-Price) ; (1989, fusion Stone-Consolidated) ; (1997, Abitibi-Price et Stone-Consolidated, ce qui ne fut, du reste, que la fusion d'une méga dette de 3 G$). Fermant ainsi la boucle, le développement de l'industrie forestière en Chine finira d'avaler le reste. Les papetières québécoises n'ayant délibérément pas investi dans leur parc industriel et n'ayant prélevé que les dividendes d'un patrimoine amassé sur le dos des régions depuis 1842, les gouvernements successifs n'ayant rien fait pour empêcher ce brigandage honteux des ressources naturelles du pays, on ne s'étonnera donc pas de voir fermer les usines les unes après les autres et d'apprendre que le Saguenay—Lac-Saint, continue toujours de produire 25% de la matière ligneuse du Québec alors qu'il n'en retire qu'environ 5 ou 6% de l'emploi lié à la forêt dans tout le Québec.

Lors de son dernier budget (année 2006), le gouvernement du Québec de M. Charest a mis 925 M$ dans le fond d'aide à l'industrie forestière. Prévoyant faire des élections au cours de l'année, le plat de résistance du plan consistait en des prêts de 425 M$ consentis aux entreprises de première transformation pour moderniser leurs installations. Outre les prêts garantis par ces prêts détenus en fiducie, le gouvernement avait accordé un crédit de taxe sur capital de 15% aux entreprises qui achètent de l'équipement neuf (7). Résultat de ce plan : aucune industrie n'ayant l'argent pour faire des investissements, celles-ci ne se sont tout simplement pas prémunies de ces possibilités d'emprunts et le gouvernement s'est retrouvé sans autre alternative pour limiter les dégâts et parer au pire.

Donner des possibilités de crédit à des entreprises désuètes, mésadaptées et nullement préparées pour survivre à l'arrivée de ces nouveaux joueurs que sont l'ex-URSS et la Chine, le plan d'aide du gouvernement Charest équivalait à toute fin pratique à donner un parachute troué à des parachutistes qui n'ont pas eu l'intelligence d'endosser leurs parachutes avant de sauter dans le vide.

Comprenons que la crise actuelle est structurelle et non conjoncturelle. Ce qui veut dire qu'elle s'est préparée depuis longtemps, qu'elle était prévisible et évitable, et qu'il est trop tard aujourd'hui pour la rapiécer car les organes vitaux sont atteints. Ce programme gouvernemental de prêts aux entreprises forestières en difficulté qui échoue faute de joueurs, la fermeture récente du jardin zoologique de Québec malgré les 38 M$ donnés en cadeau discrétionnaire à un zombie, et les 253 M$ de fonds publics engloutis en pure perte dans la papetière de Chandler (sur un projet initialement évalué à 496 M$ et devant correspondre à la toute fin pour... 85% du montage financier, par l'État québécois, d'une entreprise relevant a priori du privé (8) ), témoignent de l'amplitude de la dérive étatique. Cette faillite de notre administration provinciale démontre, en effet, à quel point l'État du Québec s'est détourné de sa mission souveraine qui est le bien public, à quel point il a perdu tout contrôle sur notre avenir économique collectif, et à quel point il n'a pas idée de ce qu'il faut faire pour diminuer la vitesse de notre effondrement. Ici comme ailleurs : TOUT EST IMPROVISÉ !!!

Ce qu'il faut comprendre de ces échecs en cascade, c'est que l'industrie forestière québécoise a été et est toujours victime d'un suicide assisté par l'État qui a laissé puiser dans la ressource sans se soucier de l'avenir. Habituées de tirer le maximum de ressources sans contraintes, les forestières ont mangé le patrimoine dont elles avaient la garde et ont continué de verser des dividendes substantiels aux actionnaires. Plutôt que d'investir en vue de se préparer à la concurrence de l'ex-URSS et de la Chine, ces multinationales ont tout simplement décidé d'absorber la concurrence montante en se cannibalisant entre elles par des fusions, jusqu'à ce que le coeur soit atteint. Maintenant qu'il ne reste plus que des lambeaux, les survivantes, qui sont endettées jusqu'aux oreilles, quêtent les derniers dollars de l'État en continuant de jouer aux riches, et tentent de tirer les derniers marrons du feu sous le regard d'un État qui n'est décidément plus capable de prendre des décisions.

En 2000, lorsque j'ai conclu mon livre sur la forêt, la situation de l'emploi était celle-ci : La part de la forêt publique du Saguenay–Lac-Saint-Jean confiée à la grande entreprise, était de 88,4%, alors qu'elle était de 49% en 1950. Le Saguenay–Lac-Saint-Jean contribuait pour 25% de la matière ligneuse au Québec, alors qu'il ne détient que 16% du volume marchand brut, et qu'il ne retirait alors, en bout de piste, que 10% des emplois liés à la forêt au Québec (contre 14% des emplois en 1990) et alors que Montréal, qui ne détient aucune réserve forestière commerciale pour faire tourner son industrie forestière, recevait 15% des emplois liés à ce secteur d'activités au Québec (9). Aujourd'hui, avec les fermetures d'usines répétées et récurrentes, considérons que notre région ne récolte plus que 5% ou 6% des emplois. On crève en région pendant qu'on danse à Montréal, et le scénario du pire se poursuit...

Russel Bouchard

La « Conclusion », demain.

1- Annie Fernandez, op. cit., Journal de Québec, 29 sept. 2006.
2-Lucien Bouchard a pris le pouvoir aux lendemains de l'échec référendaire, du 30 octobre 1995 et il a démission comme chef de l'État le 10 janvier 2001. Par la suite, Bernard Landry a assumé l'intérim du pouvoir jusqu'à son assermentation le 8 mars 2001, et il a occupé la charge et fonction de premier ministre du Québec jusqu'au 14 avril 2003, jour de l'élection du gouvernement de Jean Charest.
3-Marie Couette, « Québec verse 38 millions $. Un parc naturel axé sur le chaud et le froid à Charlesbourg », Le Quotidien, 23 janvier 2001, p. 3.
4-PC, « Pièces d'automobiles en aluminium. Raufoss installe son usine à Montréal », Le Quotidien, 19 janvier 2001, p. 13.
5-Marc St-Hilaire, « ''Il faut des conditions d'emplois'' – Bernard Landry », Le Quotidien, 4 octobre 2006, p. 3.
6-Ibid.
7-Hélène Baril, « Secteur forestier : des mesures d'aide inutiles », Le Quotidien, 29 août 2006.
8-PC, « Enquête sur la Gaspésia. Bernard Landry écorché », Le Quotidien, 7 mai 2005. Robrt Dutrisac, « Les pressions de Landry ont tué la Gaspésia. Tembec, la SGF et la FTQ sont également montrées du doigt dans le rapport Lesage », Le Devoir, 7-8 mai 2005. PC., « Dépassement à la Gaspésia. Landry impute le désastre à Charest », Le Journal de Québec, 9 mai 2005. Mélyssa Gagnon, « Floué dans le dossier de la Gaspésia, le rapport Lesage plaît à Lépine », Le Quotidien, 10 mai 2005. « La Gaspésia ''Landry s'est coiffé du bonnet tout seul'' –Le juge Lesage », Le Journal de Québec, 10 mai 2005. Martin Ouellet, « Naufrage de la Gaspésia. Les chefs rivalisent d'incompétence », Le Quotidien, 11 mai 2005, p. 39. Alain Dubuc, « Le chantier en folie », Le Quotidien, 13 mai 2005.
9-Russel Bouchard, Annales de l'industrie forestière au Saguenay–Lac-Saint-Jean (1945-2000), Chicoutimi, 2004, pp. 499-504.